16 décembre 2005

La famille de Bayard par Albert de Rochas

Bayard
Annuaire du Conseil Héraldique de France.
La famille de Bayard par Albert de Rochas
Pages 139 à 158.
BnF/Gallica : http://gallica.bnf.fr/document?O=N036887
Quels sont les représentants actuels de la famille Terrail, à laquelle appartenait Pierre Terrail, seigneur de Bayard, le Chevalier sans peur et sans reproche ?

Telle est la question que j'ai été conduit à examiner comme membre du Comité formé récemment, sous la présidence du Général Février, Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, pour l'érection d'une statue équestre au héros dauphinois dans le bourg de Pontcharra, où il est né.

Tous les documents relatifs à la famille de Bayard qu'on trouve dans les divers historiens sont empruntés, soit au Supplément à l'histoire du Chevalier Bayard par CLAUDE EXPILLY, imprimé à Grenoble en 1650 à la suite d'une édition du LOYAL SERVITEUR soit à des annotations de VIDEL se trouvant dans la même édition, soit à des articles de CHORIER et de GUY ALLARD.

C'est donc par la reproduction de ces documents qu'il convient de commencer, en faisant observer que Claude Expilly, président au Parlement de Dauphiné, né à Voiron en 1561 et mort en 1636 après avoir occupé de grandes charges, soit en Savoie soit en Dauphiné, et contracté des alliances avec la vieille noblesse de cette dernière province, était particulièrement en mesure de se procurer des renseignements, alors surtout qu'il existait de son temps plusieurs représentants haut placés de la famille Terrail et que le château Bayard, où se conservaient vraisemblablement leurs archives (1) était encore noblement habité.
(1) Dans les premières années de la révolution, on mit en vente le mobilier et les archives du Château-Bayard. M. Maurin, qui se trouvait en garnison non loin de là, au fort Barraux, acheta toutes les archives et en remplit dix caisses qu'il expédia à Paris à l'un de ses parents, chez lequel elles n'arrivèrent jamais. M. Maurin, devenu colonel et possesseur de collections remarquables, n'avait pu se consoler encore de cette perte.
Quant à Videl, à Chorier et à Guy Allard, ils vécurent : le premier de 1598 à 1675, le second de 1612 à 1692, et le troisième de 1635 à 1716.

Je ne prends la généalogie d'Expilly qu'à la souche commune des Terrail de Bayard et des Terrail de Bernin. Il est inutile de remonter plus haut pour le but que nous nous proposons.

Pierre I naquit un an devant la mort de son père, suivit pareillement les guerres, se trouva à la journée de Rosebeque où il servit très bien l'an 1382. Au dénombrement et révision plus ancienne des feux du Dauphiné, faite l'an 1383, il est fait mention de Pierre Terrail parmi les gentilshommes de la paroisse de Grignon, mandement d'Avalon. Il mourut à la bataille d'Azincourt, l'an 1415, âgé de 60 ans. Il laissa quatre enfants Pierre II, Jacques, Antoine et Thibaud.

Thibaud, fils de Pierre, fut d'église.

Antoine fut abbé d'Esnay à Lyon, fonda une Chapelle en l'église d'Esnay sous le vocable de Saint Sébastien. Il mourût l'an 1457 et fut enseveli en la dite Chapelle, et Yves Terrail, Sieur de Bernin, aussi. A Antoine succéda en l'abbaye par résignation Théodore Terrail, frère du dit Yves, comme nous dirons ci-après.

Pierre II et Jacques son frère firent deux branches.

Pierre II, qui eut en sa part la terre et maison de Bayard, suivit les guerres contre les Flamands et Anglais, se trouva à la défaite et prise d'Imbert de Toulonjon, maréchal de Bourgogne, et tout jeune qu'il estoit, fut cause de cette prise avec Humbert de Grolée, Comte de Viriville... Le même Pierre Terrail, estant avec le dit de Grolée, maréchal de l'armée du Roy, se trouva aussi à la journée d'Auton, où Raoul de Gaucourt, Gouverneur du Dauphiné, vainquit et défit en bataille rangée Louys de Chalon, prince d'Aurenge, qui pensait envahir le pays avec une grosse armée composée de Savoisiens et de Bourguignons...

Durant que Louis Dauphin, qui fut depuis Louis XI, fût en Dauphiné, il se tint du côté du Président Baile et ceux de la Noblesse qui, suivant l'ordre du Roy Charles VII, s'opposèrent aux desseins du Dauphin ce qui fut cause en ce temps-là il se contint dans sa maison, sinon lorsque le Dauphin fit la guerre à la Savoie; car il se trouva à la prise de Montluël et de S. Genis d'Aouste. Ce fut une petite guerre qui ne dura que trois mois.

Depuis, le Roy Charles VII estant décédé, le Roy Louis XI, voyant venir fondre sur luy les forces de la ligue et guerre du bien public, convoqua la Noblesse du Dauphiné en laquelle il se confiait grandement, pour la connoissance qu'il avoit de sa valeur. Pierre Terrail s'y en alla et fut tué en combattant vaillamment à la bataille de Montlhéry l'an 1465.

Il laissa quatre enfants de Marie de Bocsozel, fille de Gaspar, savoir : Aymon, Jean II, Antoinete et Marguerite.

Jean II fut religieux et prieur du Prieuré de S. Trivier en Dombes.

Antoinete fut mariée à Louis de Beaumont, Sieur de la Tour.

On tient que Marguerite fut religieuse.

Aymon ou Aymé Terrail suivit pareillement les guerres et enfin fut estropié d'un bras à la journée de Guinegate, avec trois autres blessures qui le renvoyèrent à la maison.

Il eut huit enfants, quatre mâles et autant de filles, d'Hélène Alemand, issue de la branche des Alemands de Laval tant renommés en Dauphiné...

Les males furent Pierre III, Georges, Philippes et Jacques ; les filles furent Marie, Catherine et Jacques.

Pierre III, Sieur de Bayard, Chevalier sans peur et sans reproche, naquit au château de Bayard, sur la fin de l'an 1469; fut héritier d'Aymon par testament de l'an 1496.

Hélène Alemand survécut huit ans à Aymon son mari ; elle mourut l'an 1504 (1), ses enfants lui ayant toujours porté grand honneur et obéissance.
(1) Bayard était en Italie quand son père et sa mère moururent.
Le Chevalier ne fut point marié; mais il eut une fille naturelle d'une belle Damoiselle de la maison de Trecque, à Cantù, entre Milan et Côme. Il fit soigneusement nourrir et élever cette fille qui s'appelait Jeanne et l'aima autant que si elle eut été légitime (2).
(2) Ceux de la maison de Treque font voir quelques lettres du Chevalier Bayard par lesquelles il faisait espérer à cette Damoiselle qu'il l'épouserait. (Note d'Expilly).
Un an après la mort du père, elle fut mariée à François de Bocsozel (3), Sieur de Chastelar, par ses trois oncles, avec une aussi ample et grosse dote que si elle eut été légitime. Elle ne fut jamais qualifiée naturelle, mais simplement fille du chevalier lorsqu'elle se maria ; et depuis, en tous les contrats passez avec ses oncles, ils l'appelaient leur nièce fille du dit Pierre et l'ont toujours grandement honorée. Elle a si bien vécu qu'on l'estimait digne fille d'un si digne père.
(3) Qui était déjà son allié par Marie de Bocsozel, grand'mère de Bayart.
De François de Bocsozel et de Jeanne Terrail sont sortis de fort braves gentilshommes, dont il y en a deux vivants à présent, Pierre et Claude, tous deux sages et vaillants, qui se sont signalés par les armes en de belles charges, pleins d'honneur et de vertus qui ne démentent point le sang dont ils sont issus (4).
(4) La famille de Bocsozel a subsisté jusqu'au commencement de ce siècle ; en 1824 Mme d'Athénas, née de Bocsozel, fut invitée officiellement à la cérémonie d'inauguration de la statue de Bayart sur la place St André, à Grenoble. Mme d'Athénas n'a pas laissé d'enfants, et son héritier a été le comte Edouard Crotti de Castigliole. Une demoiselle de Bocsozel est entrée par un mariage, au XVIIe siècle, dans la maison de Garcin, mais j'ignore le sort de sa postérité.
Georges succéda au chevalier son frère, tant par son testament que par les dispositions de leurs ayeulx. Il recueillit plus d'honneur que de biens; car le chevalier n'acreut de rien son ancien patrimoine, quoyqu'il eust en des jours possédé de grandes charges tant de çà que delà les monts; qu'il eust eû de très grands avantages à la guerre et qu'il eust été assez longuement lieutenant général pour le Roy au Gouvernement général du Dauphiné: aussi disoit-il souvent ce commun proverbe : Ce que le Gantelet amasse, le Gorgerin le dépend.

Georges mourût l'an 1536, laissant une fille unique, appelée Françoise, qu'il eut de Jeanne d'Arvilars, sa femme.

Philipes fut Evêque de Glandèves.

Jacques fut Abbé de Josaphat aux faubourgs de Chartres et, après la mort de Philippes, fut évêque de Glandèves ; mourut à Chartres le 15 Mars 1535.

Françoise, étant demeurée en la tutelle de sa mère, fut mariée à Charles Copier, Sieur de Poizieu. La mère avait épousé en secondes noces Antoine Copier, père du dit Charles, duquel elle eut d'autres enfants. Françoise mourût sans enfants, laissant sa mère héritière de tous ses biens. Elle vendit, avant que mourir, la Terre et Maison de Bayard au sieur d'Avanson, l'an 1560, à présent tenue par le Sieur Marquis de Gordes, petit-fils du dit Sieur d'Avanson par sa mère.

Quant aux filles d'Aymon, Marie fut mariée à Jacques du Pont en Savoie, dont sortit : Pierre du Pont, qui suivit le chevalier aux guerres d'Italie et portait son enseigne. Le Roy lui donna un office d'Escuyer de sa maison, mais il ne le garda guières, car il fût tué neuf mois après, à la bataille de Pavie. Champier loue grandement ce Pierre du Pont et en fait un second Bayard.

La race du Pont est tombée en quenouille.

Claude fût mariée à Antoine de Theys, sieur de la Bayette ; Pierre de Theys, Sieur d' Herculéz, dont il est parlé aux Histoires, en est descendu.

Catherine fut religieuse au monastère de Pramol

Jeanne fût religieuse en l'abbaye des Haies.

AINSI VOILA LA BRANCHE DE PIERRE II DÉFAILLIE.

Jacques I, fils de Pierre I, fit l'autre branche de Terrail et eut les terres de Bernin (1) et de Grignon en partage ; eut deux enfants, Pierre IV et Guigues.
(1) Bernin était une petite propriété située, comme celle de Grignon, au pied de la hauteur sur laquelle fut bâti, dans les premières années du XVe siècle, le château-Bayard; elle porte encore ce nom.
Nous ne trouvons rien de Guigues.

Pierre IV laissa deux enfants, Yves et Théodore.

Théodore, par la résignation d'Antoine Terrail, son oncle, fut Abbé d'Esnay à Lyon, tint l'abbaye après luy quarante huit ans, y fut enterré l'an 1505. La sépulture est au milieu de la nef de l'Eglise. De ce bon abbé Théodore il est parlé en l'histoire du Chevalier faite par le Loyal serviteur.

Yves Terrait eût trois femmes : la première fut Alès ou Alix d'Autun, de laquelle il eut Magdeleine. qui fut mariée au Sieur de Vareq ; la deuxième, Louise de Gignot, fille de Messire Jean de Gignot, Chevalier dont il eût deux filles, Catherine, mariée à Arthaud de Salvaing, Sieur de Boissieu, et Marguerite, mariée à M. de Beaumont, Sieur de Saint-Quentin. La troisième fut Claude Revoire, de la maison de Romagnieu, de laquelle il eut Gaspar Terrail. Il fit le dit Gaspar son héritier et mourût à Lyon en l'Abbaye d'Esnay et y fut ensevely, l'an 1497, en la Chapelle St Sébastien, auprès d'Antoine, abbé, son oncle.

Gaspard Terrail, Sieur de Bernin, suivit le Chevalier Bayard, son cousin, aux guerres de France en Italie, se trouva en toutes les occasions, fut prisonnier en la bataille de Pavie; et enfin, après avoir recueilly partie des liens de la maison de Terrail par le décès sans enfants masles du Chevalier et de Georges, ses cousins, il se retira en la maison de Grignon, chargé d'ans, de blessures et d'honneur ; fut fort estimé, aimé, et honoré des grands et petits. Il épousa Charlotte de Bossevin, dame de Pignan, de laquelle il eut François Terrail.

Il mourut en 1510.

François Terrail, Sieur de Bernin, espousa Anne de St-Félix, dame de Saussan ; il servit longtemps le Roy aux guerres de Piémont. Capitaine d'une compagnie de chevaux légers sous Monsieur le Maréchal de Brissac; fut tué à la journée de St-Barthélerny par la méchanceté d'un sien allié contre lequel il avoit un procès au parlement de Paris ; il laissa David son fils et deux filles, Marie et Dauphine. Marie fut mariée au Sieur de Frize et Dauphine au Sieur de Meyrargues en Languedoc.

David Terrail, Sieur de Bernin, maistre de camp d'un régiment de gens de pied, sage et valeureux chevalier, fût tué d'une mousquetade le 22 Novembre 1591 au siège de Cahours en Piedmont. Il eut deux fils de Clémence de Ponnat, François et Thomas, lesquels il laissa presque au berceau, en la tutelle de leur mère.

François II, Sieur de Saussan, se retira auprès de sa grand'mère, Anne de St-Félix, en Languedoc. Elle l'a laissé son héritier avec les terres de Saussan et de Pignan.

Thomas, Sieur de Bernin, est demeuré en la maison de Grignon, a suivy les guerres en Piedmont et au Milanois, ayant charge parmi les gens de pied, et les dernières de l'an 1621 et 22. Il a recueilly tous les biens anciens de la maison paternelle, et porte à présent le nom de Sieur de Bernin.

Ainsi celle race si fertile en grands guerriers est réduite à ces deux frères, qui ne dégénèrent point de leurs ancêtres, et nul autre qu'eux ne reste du nom et armes des Terrail dont tant de glorieux chevaliers sont yssus, la plupart desquels ont honorablement répandu leur sang et finy leurs jours dans les armes, pour le service de leurs Roys.

Ils portent d'azur au chef d'argent, chargé d'un Lyon naissant de gueules, à la cotisse d'or brochant sur le tout.

Voici ce qu'on trouve dans les ANNOTATIONS DE VIDEL, à la page 3 .

Il ne reste du nom de Terrail qu'un Gentilhomme nommé Thomas, Sieur de Bernin, arrière-petit-fils de Gaspard Terrail, cousin du Chevalier, qui fait sa demeure dans une Maison de son ancien patrimoine au dessous du chasteau de Bayard, et n'a point d'enfans.

Plusieurs se mécontent croyant que les Sieurs du Terrail, père et fils, braves Gentilshommes, le premier décapité à Genève l'an 1609, et l'autre tué devant Mardik en 1646, feussent de mesme maison que le Chevalier par la rencontre du nom de Terrail qu'ils ne portoient qu'à cause d'un fief situé près de la Mure (1). Ils étoient de la maison de Combourcier, ancienne en Dauphiné.
(1) L'abbé Brizard répète cette assertion dans sa savante Histoire générale de la maison de Beaumont. La branche du chevalier Bayard s'éteignit dans la personne de Georges Terrail, son frère puîné, qui ne laissa que des filles ; celle des seigneurs de Bernin, la seule qui subsistât alors au XVIIe siècle, s'est également éteinte au siècle dernier, et c'est sans fondement légitime que quelques personnes ont prétendu faire revivre ce beau nom.
GUY ALLARD, qui écrivait un peu plus tard, s'exprime ainsi dans son Dictionnaire du Dauphiné

Terrail est une ancienne et noble famille de la Vallée du Graisivaudan, de laquelle M. Expilli nous a donné la généalogie au Supplément de l'histoire du chevalier Bayard. Elle n'étoit pas encore éteinte. Mais le dernier, nommé Thomas de Terrail, seigneur de Bernin, est mort sans enfant l'an 1667.

Quant à CHORIER, il ne parle pas des Terrail dans son NOBILIAIRE (Etat politique du Dauphiné, tome II), destiné seulement aux familles existantes, mais il donne leurs armes dans son Supplément à l'Etat politique, et il ajoute : Cette famille est éteinte depuis quelques années (2).
(2) C'est de ce même fief que tirent leur nom les familles Toscan du Terrail et Ponson du Terrail.
Ainsi tous sont d'accord pour affirmer que la famille Terrail s'est complètement éteinte en 1667.

Et cependant, depuis plus de cent ans, une famille ancienne et honorable, mais jusque-là fort obscure, de la vallée du Graisivaudan, la famille Couvat, prétend que le nom, sous lequel elle était connue depuis deux siècles, n'est qu'un sobriquet et que son nom véritable est Terrail ; elle se rattache à un Charles Terrail, fils de Gaspard Terrail, seigneur de Bernin, auquel, ainsi qu'on l'a vu, on ne connaissait qu'un seul fils, François, qui épousa Anne de St-Félix. Aussi, la plupart des généalogistes modernes, notamment M. de Terrebasse (Histoire de Bayard) et M. de Rivoire la Bâtie (Armorial du Dauphiné, Vo Terrail), ne se sont-ils même pas donné la peine de combattre ces prétentions.

La question n'a peut-être pas été suffisamment étudiée, et je vais mettre maintenant sous les yeux des lecteurs les plus importants des pièces sur lesquelles s'appuient les Couvat. Je commencerai par un résumé de leur généalogie, extrait de l'Histoire de Grenoble (1), par le chanoine Barthélemy, qui est mort en 1812, âgé de 73 ans, laissant la réputation d'un homme aussi profondément honnête que remarquablement instruit sur l'histoire du Dauphiné.
(1) Cette histoire, dont deux courts fragments ont été seuls publiés dans l'Annuaire de l'Isère, est entre les mains de la famille du Boys (de Lancey).
François, fils de Gaspard, eut un frère nommé Charles, qui épousa Soffrée d'Arces, duquel mariage est née une très nombreuse postérité. Les titres de cette famille ayant été mis sous les yeux des derniers Etats du Dauphiné, l'auteur de cette Histoire fut désigné pour en faire, l'année suivante (1789), le rapport. Il y a lieu de croire qu'en mémoire du chevalier Bayard, les Etats, s'ils n'eussent été détruits, auraient arrêté de faire la dépense pour l'éducation d'un enfant de cette famille, en sollicitant en même temps sa réhabilitation. On ne sera point surpris, au reste, de l'erreur des généalogistes, quand on saura que Charles du Terrail, faisant baptiser son fils âgé de quatre ans, le 16 Avril 1562, voulut qu'il s'appelât Jaime Couvai pour l'honneur et souvenance de demoiselle Soffrey d'Arces, sa chère épouse défunte, appelée la Belle Couvat. C'était l'époque la plus cruelle de la guerre civile. Charles du Terrail, attaché à la religion de ses pères, s'était brouillé avec les autres parents, qui avaient embrassé les opinions des novateurs. Laissé dans la misère, Jaime Couvat, dont le père était mort depuis quelques temps, fut recueilli, nourri et élevé par Revolet, hôte de Montbonnot; Jaime fut trop heureux d'épouser la fille de son bienfaiteur.

Le fils qu'il eut de ce mariage reçut dans son acte de baptême le nom de Couvat, fils à Jaime du Terrail dit Couvat, et c'est sous ce seul nom que cette postérité très nombreuse a longtemps ignoré son origine.

Ainsi tombent dans l'oubli des familles anciennes, tandis que d'autres ont l'art d'usurper des noms qui ne leur ont jamais appartenu.

Au milieu du siècle passé, il y avait en effet entre Grenoble et Montbonnot de nombreux paysans portant le nom de Couvat. L'un deux, secrétaire et greffier des communautés de Meylan et St-Murys, fit donner de l'instruction à son fils, qui entra dans la compagnie de Jésus, se fit recevoir licencié en droit et habitait à St-Denis, en 1789, comme aumônier d'un couvent de femmes. Ce fils, l'abbé François Couvat, guidé peut-être par des traditions de famille, rechercha dans les archives des paroisses les noms de ses ascendants et arriva à découvrir ou à imaginer son illustre origine. Il constitua pour se rattacher à Charles Terrail un dossier de 16 pièces, qu'il déposa au greffe du tribunal de St-Marcellin après en avoir fait constater l'authenticité par un jugement du Vibailly de cette ville, en date du 1er Septembre 1785, pour y être conservées et consultées quand besoin serait.

On a vu plus haut que ces pièces furent présentées en 1788 (le 23 Décembre) aux Etats de la Province, alors réunis à Romans, et que le chanoine Barthélemy fut chargé de les examiner. Le 22 février 1790, elles furent enregistrées au greffe du Comité des rapports. L'abbé Couvat les fit en outre reproduire, in extenso, dans le 9e volume du Tableau généalogique historique de la Noblesse, publié pour 1789 Paris par le Comte de Waroquier.

Je laisserai de côté toute la série des actes prouvant la filiation des Couvat et leurs alliances avec d'autres familles de laboureurs, et je ne m'arrêterai que sur le point délicat, la jonction des Couvat avec les Terrail.

I. - EXTRAIT DES REGISTRES DE LA PAROISSE DE SAINT MARCELIN

Le seize avril mil cinq cent soixante deux a été baptisé un fils à Noble Charles du Terrail, des sieurs de Bernin, et de feue Damoiselle Soffrea d'Arces, dite la bella Couvat, sa femme, lequel avait environ quatre ans; son parrain, noble Charles d'Ancézune, seigneur de Vinay, pour noble François du Terrail, Seigneur de Bernin, oncle du baptisé, et la marraine, Ugona d'Arces, moniale à St-Paul ; lequel a eu nom Jaime Couvat ; pour 1'amour et souvenance de la bella défuncta. Ainsi le certifie Jean Fillin, curé.

II. - QUITTANCE BAILLÉE A Me NOBLE JOHAN DE GUMIN, PRIEUR DE. LA MURETTE, PAR HONORABLE ANDRE REVOLET, HOTE DE MONTBONOT (6 mai 1568).

Au nom de Dieu soit, Amen. A tous présents et à venir, soit notoire et manifeste, comme feu noble Charles, des Nobles Terrails de Bernin, auroit, par avis et parti contraire à icelui pris par noble François sieur de Bernin, son frère, et autres les siens parens, ez troubles pitieux et loyales guerres contre sainte religion de Dieu, encouru ire et mescognu du dit sieur de Bernin et autres leurs siens parens; comme aussi le dit noble Charles seroit allé de vie à trépas sans bien ni advoir pour ce qu'il a tout espensé et dépéri en cet état misérablement MD.LXII laissant à merci son enfant et de demoiselle Soffrea d'Arces, sa feue espousa; comme aussi honorable homme André Revolet, habitant du bourg de Montbonnot, auroit reçu en sa maison et traité noble Jaime Couvat Terrail, dit enfant du dit Charles, après la mort d'icelui, tellement que si sien auroit été ; et finallement comme par le sieur de Réaulmont, et autres parents de la defuncta Soffrea, auroient été réunis et déposés es-mains de messire Johan de Gumin, prieur de la Murette, l'un d'iceux trois, vingt trois florins pour besoins et avantages du dit Jaime Couvat. Pour ce est que, l'an de grace courant mil cinq cent soixante huit, et le sixième jour du mois de mai, par devant moi Antoine Mermet, Notaire Delphinal du lieu de la Murette, manant de Réaulmont, soussigné, et en présence des témoins sous-écrits, personnellement, sont constitués et établis les dits messire noble Johan de Gumin, prieur de la Murette, et honorable homme André Revolet, hôte du bourg de Montbonot, le premier réellement et manuellement baillé, compté et délivré au dernier les dits trois, vingt trois florins en escus d'or teston et ayant cour, qu'il a eu, reçu en ma présence et des témoins, tellement et en sorte que des dits trois, vingt trois florins, le dit noble Johan de Gumin est quitte et le dit Revolet eu par de jamais en rien demander ne permettre être demandé ni par le dit Jaime ni par autre. Soi soumettant en avant, comme en passé, tenir et traiter le dit noble Jaime comme s'il étoit propre et sien enfant et pécule giniture, et d'icelui faire pourfit des dits trois, vingt trois florins, dont se charge et demeure chargé et comptable. De quoi faire il a baillé serment es-mains de moi notaire, sur saints évangiles de Dieu, moyennant ce faire et pourfit et avantage du dit noble Jaime, tant pubil que pubère. Obligeant pour ce chaqu'un de ses biens, soumettant à toute cour ordinaire de Réaulmont et Montbonot, même royalle et delphinalle, et à une chaqu'une seule et pour le tout, renonçant en outre à tout droit aux présentes contraire, même au droit disant généralle, pour ne valoir si la spécialle ne précède, desquelles choses sus écrites, le dit noble de Gumin a requis et le dit Revolet a voulu lui être fait, par moi notaire, ce présent public instrument, corrigeable si besoin est par V Avocats, joint la substance sus-écrite.

Fait et passé en la dite paroisse de la Murette et dans la chambre basse du prieuré du dit lieu, en présence de noble Louis Porret de la Murette, et de Claude Mermet mon fils, clerc de la Murette, témoins requis qui se sont co-soussignés avec le dit noble de Gumin, non le dit Revolet ne sachant écrire, et moi dit notaire recevant. A. MERMET, GUMIN, PORRET, C. MERMET.

EXTRAITS DES REGISTRES DE LA PAROISSE DE MONTBONNOT.

III. Après la messe, au bourg de Monbonod, maître Jean Sibud, avocat en la cour du parlement, parrain, et demoiselle Magdeleine Belluard, marraine, ont présenté et demandé baptême pour un fils de honorable Jaime Couvat du Terrail, habitant, et de honnête dona Ennemonda Revolet, sa légitime famme. J'en ai fait le baptême et ai donné à l'enfant le nom de André Couvat, le premier Mai M.D.LXXXXIX. SIBUT, JOSSE, P. TAVEL, SABLIÈRE, BELLUARE, GABRION prêtre.

IV. - Le trentième juin mil six cent trente a été baptisé Guigne Couvat, fils d'André et de Guiguonne Gennéar de l'Estang. A été parrain Nicolas Pilon de Montbonnod; marraine Anne Cuchet de Saint Muris, paroisse de Meylan. J. L. ESCOFFIER, curé.

V. - Le dixième Novembre mil six cent trente un, Jaime Couvat, habitant de Montbonod, est décédé sur le soir, ayant été confessé et reçu le Saint Sacrement de l'Extrême-onction, par moi soussigné ; et le lendemain onze du dit mois, jour de St Martin, après vêpres, fut ensépulturé en l'église paroissiale du dit Montbonod ; ainsi le certifie Roche, curé.

VI. - Le huitième jour de Juillet mil six cent cinquante, est décédé André Couvat fils de feu Jaime. J. L. ESCOFFIER, curé.

VII. OBLIGATION
L'an mil six cent vingt sept et le dix-septième jour du mois de Mai après midi, s'est établi en sa personne André Couvat, laboureur de Montbonnod, habitant à Bivier, lequel de son bon gré et franc vouloir a confessé et confesse devoir à honnête Jaime Couvat, son père, laboureur, habitant au dit Montbonnot, ci-présent et acceptant, la somme de 30 écus qui sont réduits suivant l'ordonnance à la somme de noinante livres...
Fait et récité au dit lieu de Bivier, devant la maison de feu Blaise Lambert, en présence de Pierre Chaix, notaire royal et procureur à Grenoble ; et Jean Authosin, charpentier du dit Bivier, et Jean Pillion boucher, habitant à Meylan, témoins requis, signé le dit Chaix, non les autres parties, pour ne savoir comme ils ont dit de ce enquis...

Deux hypothèses se présentent maintenant ou bien les pièces qu'on vient de lire sont fausses (on sait combien ces sortes de falsifications ont été fréquentes) ; ou bien, elles sont vraies, et il reste à expliquer comment Expilly, Videl, Guy Allard et Chorier ont pu ignorer ou taire l'existence de Charles Terrail.

Si elles sont fausses, c'est probablement la pièce n° III qui a donné l'idée de la supercherie par la transformation d'un Couvat quelconque, habitant l'un des nombreux lieux-dits Le Terrail (levée de terre), en un Couvat du Terrail ; les pièces I et II seraient alors complètement apocryphes.

Il est, vrai que ces pièces ont été reconnues authentiques, non seulement par les autorités que j'ai déjà citées, mais encore par le tribunal civil de Grenoble qui, en trois jugements différents, le premier à la date du 3 décembre 1838 (1) le deuxième à celle du 3 Avril 1849, et le troisième à celle du 25 Mars 1876, a autorisé des membres de la famille Couvat à faire rectifier leurs noms sur les registres de 1'Etat Civil et à s'appeler désormais du Terrail-Couvat. Le dernier de ces jugements a été rendu en faveur de Pierre-Joseph du Terrail-Couvat, aujourd'hui docteur en médecine et maire de Montbonnot.
(1) Dans ce jugement, qui rapporte la requête des demandeurs, nés l'un en 1783, l'autre en 1786, l'autre. en 1789, et le dernier en l'an IV, les quatre fils Couvat exposent que le nom de Couvat n'était pas un nom patronymique, mais bien un surnom maternel, comme on l'établira dans un instant, et des causes, dont la principale fut de prévenir sa postérité des tourments révolutionnaires, déterminèrent leur père à ne point prendre ni donner à ses enfants le noms de Terrail qui était porté par ses aïeux. Je n'insiste pas sur le cas de ce paysan Dauphinois prévoyant dès 1783, les malheurs qui fondraient sur sa postérité si elle portait un nom noble. De telles naïvetés n'ont peut-être pas été étrangères au refus constant de la noblesse du pays à reconnaître les prétentions des Couvat et la compétence de ceux qui les on admises.
Ceci nous conduirait à admettre que, dans les malheureuses luttes religieuses qui désolèrent le Dauphiné au XVIe siècle, Charles Terrail, cadet sans fortune et catholique, fut tué par les partisans et corréligionnaires de son frère ainé François, devenu huguenot, et héritier des biens de sa famille ; que Jame son fils, laissé dans la misère, élevé par charité, conçut une haine profonde pour ceux qu'il considérait comme responsables de sa triste position ; qu'en 1572 (il avait alors 14 ans), un de ses parents catholiques avait pris en main ses intérêts et plaidait contre son oncle et parrain, François du Terrail, pour lui faire obtenir la restitution de quelque bien ; et enfin que c'est aux partisans de ce mandataire que les Terrail de Bernin attribuèrent la mort de François, massacré pendant la nuit de la Saint-Barthelemy (1). Dès lors, il n'y aurait pas lieu de s'étonner que les fils de ce François aient résolu de rejeter complètement de leur famille leur malheureux cousin, surtout quand il eut fait souche de paysans par son mariage avec la fille de l'aubergiste de Montbonnot et sa manière de vivre.
(1) Dans une lettre publiée par les Annales politiques et littéraires du département de l'Isère, le 1er Mars 1805, l'abbé Couvat paraphrase ainsi, en les précisant peut-être d'après la tradition, certaines assertions des actes reproduits précédemment : Gaspard du Terrail, sieur de Bernin, eut de son mariage avec Charlotte de Bossevin deux fils, François et Charles, qui firent encore deux branches, suivirent deux partis opposés dans les guerres civiles et de religion, devinrent ennemis implacables l'un de l'autre, et finirent par périr tristement, Charles en Dauphiné de la main des Huguenots, et François à Paris de celle des Catholiques. Et plus loin, à propos de l'acte passé en 1568 par André Revolet : Cet acte est très étendu et fait de ce pays-ci le tableau le plus triste en l'eau 1562, qui fut celui de la ruine et de la mort de Charles.
Les généalogistes, qui n'écrivent d'ordinaire que d'après les documents fournis par tes représentants en vue des familles dont ils s'occupent, auraient d'autant moins hésité à reproduire les affirmations du mestre de camp (colonel) David Terrail que son cousin germain Jaimes paraît s'être philosophiquement résigné, sur la fin de sa vie, à devenir un simple laboureur (Obligation du 17 Mai 1587) et à laisser tomber dans l'oubli une illustre origine qui ne lui avait causé que des tourments.

Il serait certainement intéressant de jeter un peu plus de lumière sur ce point obscur de l'histoire d'une des races dont la France a le droit de s'enorgueillir, et cela ne me semble point impossible dans le milieu auquel s'adresse cette notice. Il faudrait d'abord rechercher dans les archives de la famille d'Arces de Réaulmont si Ugona d'Arces, religieuse, et Soffrea d'Arces, mariée à Charles Terrail, ont réellement existé, puis s'il y a eu un procès entre François Terrail et les d'Arces de Réaulmont, au sujet des droits de Jaimes Terrail. Les traces de ce procès pourraient également se retrouver, soit dans les archives judiciaires de Paris, soit dans les papiers des familles de St-Félix de Saussan, de Bossevin de Pignan, et de Frize en Languedoc. Je demanderai enfin à mes érudits confrères du Conseil Héraldique de vouloir bien m'apprendre s'il existe encore quelque descendant direct de la fille de Bayard par les Bocsozel, et si la famille de Trecque (Treque, Trecchi, Trecho, Tresca ?) n'et point éteinte en Italie.

ALBERT DE ROCHAS

11 commentaires:

Gilles Dubois a dit…

Pouvez-vous me donner plus de renseignements sur les Salvaing de Rochefort qui vous interessent ?

S'agit-il du couple Jean Joseph de SALVAING de BOISSIEU et Elisabeth Suzanne HOMBERG ?

Gilles Dubois a dit…

Vous aurez peut-être quelques réponses dans cet article.

Anonyme a dit…

Qui est le comte de Waroquier qui publia en 1789 le tableau généalogique de la noblesse ?
Merci d'avance
dw55@ifrance.com

Gilles Dubois a dit…

Je n'ai pas réussi à trouver des informations plus détaillées sur le comte de Waroquier de Combles. Tout ce que je sais, c'est qu'il est l'auteur de plusieurs ouvrages de généalogie dont : "Tableau généalogique, historique, chronologique, héraldique et géographique de la noblesse, Paris, 1787."

Anonyme a dit…

Il n'y a pas besoin d'avoir une licence de droit pour s'apercevoir que la généalogie "Couvat du Terrail" publié par Waroquier est "vaseuse" au possible, tout est de "l'à peu près", à commmencer par l'abbé qui signe ses actes losqu'il est curé de Beaucroissant "François-Xavier Couvath", et qui fut (quelle blague!) Aumônier d'un Couvent à St Denis près de Paris.....!et tout est du même "mauvais goût"...heureux les simples d'esprit.......!!!!!

Anonyme a dit…

Ladernière descendante de jeanne du Terrail-Bcsozel et de François II est Anne-Sophie de Bocsozel-Montgontier décédée le 18 mai 1834, son fils aîné, le seul qui lui resta ( elle avait épousé un Baron d'Anthénas) fut Arthur-Nicolas Perrin d'Anthénas, comme son père officier dans l'armée Sarde . marié avec Marie-Polixène Chollet du Bourget, il n'eut pas d'enfants et mourut le 10 décembre 1840. Dernière personne de la lignée Bayard .

Anonyme a dit…

Les femmes ne comptant pas en généalogie ( elles perdent leur nom)ce n'est pas Anne-Sophie ,baronne d'Anthénas la dernière descendante de Jeanne du Terrail-Bocsozel ni sa soeur Marie Barbe,chanoinesse morte émigrée à Lausanne mais leur frère Alexandre mort dans la misère à la Côte St André le 28 juillet 1816, leur frère Jean-Baptiste était mort à l'Hopital de Naples en 1796 .

Anonyme a dit…

je serai curieuse de savoir d'où sortent ces Salvaing du Terrail venus d' Allevard surtout pendant la Révolution....
De même que les Salvaing de Rochefort, chacun sait que le cher Denis de(!) Salvaing de Boissieu s'était créée une ascendance assez folklorique,né à Vourey le 21 avril 1600, 1er Président de la Chambre des Comptes, on peut lui reprocher son goût pour les "broderies" généalogiques, son blason représente un aigle très simple mais lui la entouré d'une bordure de France .

Unknown a dit…

Je suis entrain de faire des recherches sur ma généologie(je ne suis meme pas encore débutant dans ce monde là) mais après lecture de cet article je me demande comment le nom TERRAIL à put réapparaitre plusieur année après...

Anonyme a dit…

Les Terrail se sont éteints avec François et Thomas au 17e siècle . Un certain Abbé Couvat aidé par un nommé Moulinet créea la branche Couvat du Terrail - en lisant l'Armorial de Waroquier il n'est pas besoin d'avoir fait son droit pour se rendre compte que rien n'est net ( lisez le livre de Pascal Beyls, de Meylan, il "remet les pendules à l'heure" !).

Anonyme a dit…

bonjour je suis une des du Terrail lauren une fille je decen de bayard mon ancetre.donc la famille du terrail et toujour pas etainte