13 novembre 2009

Le Fort de Saint-Vincent du Lauzet en 1485

Ci-dessous, un texte original de V. Lieutaud sur le fort de St-Vincent du Lauzet (aujourd'hui St-Vincent les Forts) dans lequel on parle des Bosse de la Bréole, des Rodulf et de Baschi. J'ai pas mal d'ancêtres dans ce village, notamment les Lautaret et Théus, et j'aimerais bien trouvé des textes du même genre sur le St-Vincent des 17 et 18e siècles...

Le Fort de Saint-Vincent du Lauzet en 1485

Source : Annales des Basses-Alpes 1899-1900, p. 293
BnF/Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5685671b

Ce n'est pas d'aujourd'hui que les Italiens en général et les Piémontais en particulier veulent du mal à la France et cherchent à le lui prouver sur le dos de la Provence.

En ce temps-là, par suite de manœuvres aussi habiles que déloyales, ils s'étaient emparés de la vallée de Barcelonnette, et les comtes de Provence avaient été obligés de fortifier sérieusement Saint-Vincent, le fort le plus rapproché de leur frontière.

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St-Vincent les Forts

Aussi, la situation du capitaine commandant cette forteresse était-elle une des plus importantes du pays et rapportait-elle honneur et profit au chevalier qui était assez heureux pour en être chargé.

Cette brillante et fructueuse perspective avait allumé la convoitise d'un noble bas-alpin du commencement du XVe siècle, Barthold de Baschi, seigneur du Castelar (de Castellario), que les documents appellent encore Bartold Vast et Bertold Vase (1).
(1) Fils de Guittard ou Guichard, + 7 septembre 1425, et de Jacquette de Farnèse, père de Jean-Antoine, tige des seigneurs du Castelar, et de Thadée, souche des trois branches des seigneurs de Saint-Estève, Saint-Pierre, Thoard, Estoublon, Auzet et en Languedoc, des marquis d'Aubaïs. Tout le monde connait le célèbre Charles de Baschi, marquis d'Aubaïs (1666-1777), qui a publié, en 1759, trois volumes in-4° de Pièces fugitives pour servir à l'histoire de France (1546-1653). Barthold avait été fait écuyer du roi Louis II, comte de Provence, le 7 décembre 1413 ; il testa et probablement mourut en 1487. Il était aussi seigneur de Peyruis.
C'était, à cette époque, un chevalier de la Bréole, Guilhem Radulphi, que la confiance royale avait chargé de la garde de cette position importante et qui s'en acquittait à merveille. Il y avait été placé par la reine Yolande (1417-1423) et avait remplacé Antoine Bosse, aussi de la Bréole, dernier châtelain, décédé (1).

Radulphi appartenait à une famille d'employés supérieurs, qui paraît avoir joui d'une certaine faveur auprès du comte de Provence de l'époque, Louis III. Ce prince avait confié la viguerie d'Hyères (Ville nove Arearum), place importante sur le rivage provençal, à Jean Radulphi, pour un an, à partir du 1er mai 1425, par lettres patentes du 11 octobre 1424 (2), et, malgré le triste état des finances comtales, fit, plus tard, le 7 octobre 1432, à Jean Radulphi, surnommé le Baron, un joyeux don de 60 florins (3). Un siècle avant, le 2 juin 1348, la reine Jeanne donnait la seigneurie de la Bréole à Bertrand Radulphi, chevalier, maître rational, procureur et avocat royal (4) ; ce qui n'empêche qu'on ne trouve, en 1309, un autre Bertrand Radulphi et son petit-fils Guilhem, déjà seigneurs de la Bréole (5).
(1) Voir ci-dessus : Quelques hommages bas-alpins, 2 mars 1386 ; Thibaud Bosse, de la Bréole.

(2) Troisième indiction, Registrum Ludovici III, f° 270, v°.

(3) Ibid., f° 350.

(4) C. ARNAUD : Viguerie de Forcalquier, 1492; Bulletin de la Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes, II, 287 ; Délibérations du conseil municipal de Sisteron, reg. n° 2, non folioté, ad calcem.

(5) GUICHARD ; Cominalat, II, 116. Le nom de cette famille est orthographié tantôt Radulphi, tantôt Radulf, Rodulphi, Rodulf et même Raoul. On peut en voir une assez mauvaise notice dans ROBERT DE BRIANÇON, II, 608, et MAYNIER : Noblesse de Provence, p. 236.
Guilhem Radulphi jouissait de la confiance royale. Il s'en rendait digne en exerçant consciencieusement ses fonctions de sentinelle avancée de la nation provençale, en entretenant à ses frais une bonne garnison, en veillant aux approvisionnements de la place et aux mouvements des ennemis italiens. Il avait été nommé châtelain à vie.

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Lac de Serre-Ponçon vu de St-Vincent

Et cependant Barthold de Baschi brûlait d'envie de le remplacer. Lui nuire dans l'esprit du prince et le faire révoquer, il ne fallait pas y songer. Il eut alors un trait de génie, digne d'un de ces rusés toscans dont il était issu.

Vu l'éloignement du comte, toujours occupé à batailler vers Naples, — et Dieu sait avec quels tristes succès, — la Provence était alors gouvernée par un vice-roi, locumtenens generalis, lequel n'était autre que Charles du Maine, le propre frère du roi Louis III, qui devait monter à son tour sur le trône de Provence en 1480, après la mort du fameux roi René, leur autre frère, et faire une si déplorable fin.

Comme toutes les races qui finissent, ce trio fraternel et stérile, — assez semblable à celui des derniers Valois, un siècle plus tard, en France, — manquait de beaucoup de qualités indispensables à un souverain, notamment l'activité, l'intelligence, l'énergie, la décision et la perception nette des hommes et des choses.

Berthold profita de ces défauts, — comme plus tard l'avisé Louis XI, de France, à notre dam, pour réunir la Provence à sa couronne. — Il vint à Aix, se faufila dans l'entourage du vice-roi, le flatta et s'en fit bien venir. Probablement, il le circonvint, lui représenta les hostilités italiennes imminentes, le mauvais état des places frontières, notamment celles des Basses-Alpes, son pays. Il n'eut, sans doute, pas grand-peine à se faire charger par ce prince facile et peu clairvoyant d'une commission lui revenant de droit, vu sa qualité de Bas-Alpin, — celle de visiter les places et les mettre en état de repousser, le cas échéant, les Italiens, éternels ennemis de la Provence (1).

A peine sa commission en poche, joyeux, il selle son coursier, se fait accompagner de solides estafiers et vole vers Saint-Vincent, — commençant ainsi sa tournée par la plus septentrionale des forteresses provençales.

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St-Vincent les Forts

Le fort était en bon ordre, bien gardé, bien armé, bien approvisionné. En cet état, son châtelain, Radulphi, jugeait peu nécessaire une visite pressante. Peut-être aussi connaissait-il Berthold et s'en méfiait-il un brin.

Le fait est que celui-ci dut user de ruse pour se faire ouvrir et pénétrer dans la forteresse.

Après avoir fait soigneusement embusquer, non loin des murs, sous un épais taillis, la troupe de gaillards qui l'avaient accompagné, il s'avance des remparts, exhibe sa commission, parlemente, fait enfin tant et si bien qu'il finit par se faire introduire dans le château.

Guilhem paraissait se tenir sur ses gardes, et le plus difficile restait à faire.

Bertold alors feint de remplir consciencieusement sa mission. Il visite la place de la cave au grenier, trouve, tout en ordre, loue Guilhem de la bonne tenue et ne tarit pas d'éloges sur son administration. Cependant les dehors lui ont paru un peu moins en état. Il lui a semblé que les fossés laissaient à désirer, qu'ils étaient çà et là éboulés, çà et là comblés, que les murs commençaient à se décrépir, à se démolir même. Il propose à Guilhem d'aller s'en rendre compte, voir les travaux à faire, les réparations à ordonner. Il insiste; il presse. Radulphi le suit enfin, sort du donjon, fait avec lui le tour des fossés, au bord desquels Bertold l'entretient le plus longuement possible, du côté opposé à l'entrée.
(1) C'était, du reste, une inspection qui se faisait assez souvent alors. — V. Dr BARTHÉLÉMY: Procès- Verbal de visites, en 1323, des fortifications des côtes de Provence..., Paris, Impr. nat., 1882, in-4°; tirage à part du t. IV des Mélanges historiques dans la collection des Documents inédits. — V. aussi aux archives des B.-du-Rh. les registres B, 77, en 1595; B, 246, en 1557; B, 193, en 1408 dans les B.-Alpes, publié par l'auteur de ces lignes, au t. IV du Bulletin de la Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes, pp. 239 et 435, — et B, 1103, qui est le texte publié par le Dr Barthélémy.
Entre temps, ses estafiers sortent de l'embuscade où ils étaient cachés, latitabant, se précipitent sur les portes, s'en emparent, ligotent la petite garnison et en un clin d'œil se rendent maîtres de la place.

Berthold ne tarde pas à retourner, voit le succès de sa ruse, se jette dans le fort, en referme vivement la porte au nez de Radulphi ébahi, stupéfait, ahuri.

Celui-ci finit cependant par revenir à lui, mais trop tard.

Il essaie alors de parlementer avec Berthold sentimentalement, doucement, sérieusement, énergiquement, furieusement, sur tous les tons possibles. Rien n'y fait. Il exhorte, adjure, conjure, refuse de prendre la chose au sérieux. On lui rit au nez. Il invoque la reine Yolande, qui le nomma, le roi Louis, son fils, actuellement régnant. Chansons ! Il menace, fulmine, argue de faux la commission du visiteur des places fortes. On le nargue. Il finit par s'emporter, tempêter, éclater en injures, en invectives, crier à l'infamie, à la trahison, insulter, provoquer, défier !.. On menace de tirer dessus, s'il ne se sauve promptement (1).
(1) Cette surprise déloyale qui eût mérité un châtiment exemplaire, si en Provence il y avait eu alors des châtiments, nous rappelle que deux frères Baschi, les seigneurs d'Aubaïs et de Saint-Estève, furent condamnés à avoir la tête tranchée et furent exécutés en effigie à Air, le 14 avril 1628. (Lettres de Peiresc, I, 593). Raço racejo ! — V. sur cette famille d'origine italienne, ROBERT DE BRIANÇON, I, 330 ; ARTEFEUIL, I, 186, et la généalogie fort rare, imprimée, en 1757, par les soins de François de Baschi, comte de Saint-Estève, ambassadeur en Portugal.
Radulphi gagna alors le large, honteux, déconfit, vexé, furieux, exaspéré, en proie à la honte, aux regrets, à l'indignation, à la rage, au paroxysme du courroux. L'âme bouleversée par les sentiments les plus violents et les plus divers, il saute sur un cheval et vole à Aix.

Charles du Maine le reçoit avec sa nonchalance habituelle, trouvant que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes et ne demandant qu'une chose : c'est qu'on le laisse tranquille, — unique désir des administrateurs d'un pays décadent.

Ce n'était pas le compte de Radulphi. Respectueusement, puis plus vivement, il insiste, persiste, prie, supplie. C'est en vain. Les jours, les mois passent inutiles à la cour du prince faible et indolent. Désespérant d'obtenir justice et réparation, Radulphi descend à Marseille, s'élance sur le premier vaisseau en partance pour Naples et porte ses doléances jusqu'au palais d'Aversa, où se trouvait alors le roi.

Louis III, le plus énergique des trois frères, nos trois derniers comtes, écoute le plaignant, trouve la chose étrange et avise immédiatement.

Le même jour, 30 mars 1425, il signe deux lettres patentes.

Par la première, il ordonne à son conseiller Pierre, seigneur de Venterol, chevalier (1), de remettre Guilhem Radulphi en possession du château de Saint-Vincent, par tous les moyens, même, s'il le faut, par la force, afin que satisfaction complète soit accordée au châtelain expulsé.
(1) C'était un des hommes de confiance du prince, qui, de 1399 à 1401, l'avait chargé de vérifier les dettes de la ville de Toulon et l'avait nommé viguier de Marseille en 1414. Cette famille, fort ancienne, figure aux chartes 692, 730, 992 du Cartulaire de Saint-Victor, dans LOUVET: Additions, I, 564, 571 ; Bulletin de la Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes, VIII, 49, etc. En 1373, Raimond de Venterol avait un brevagium, bref ou seigneurie particulière à Aiglun.
Pour qu'il puisse mieux remplir sa mission, il lui conte toute l'affaire, — ce qui nous procure l'honneur de la tenir de sa plume royale et le plaisir de la narrer, à notre tour, à nos lecteurs.

Par la deuxième, il confirme Radulphi en son office de capitaine de Saint-Vincent, sa vie durant, lui rappelant de nouveau les obligations de sa charge, que le tour joué par Bertold rendait plus strictes : vigilance à toute épreuve, fidélité inviolable, entretien d'une garnison constante et suffisante, inventaire des armes, vivres et munitions, réparations à exécuter, etc., — sans oublier les gages.

Il faut croire que Guilhem Radulphi partit d'Aversa satisfait et que, comme dans les contes des fées, une fois rentré dans son château, il finit par se marier et avoir beaucoup d'enfants, — si ce n'était déjà fait.

Nous avons eu la chance de découvrir naguères les deux lettres patentes aux fos 286 et 287 d'un vieux manuscrit de la Bibliothèque Méjane d'Aix, coté 538, connu sous le nom de : Registre de Louis III, comte de Provence. C'est là, ami lecteur, si le cœur vous en dit, que vous pourrez aller vérifier l'aventure et tirer encore bien des renseignements inédits sur l'histoire de Provence, dont, pour terminer, nous ne mentionnerons que les suivants :

F° 45, 31 décembre 1423. — Commission à Elion de Glandèves, seigneur de Faucon, et à Louis Galiot de presser le départ de la flotte provençale, qui était à Gênes.

F° 88, 4 juin 1424. — Lettres de familiarité pour Jean d'Amat.

F°136, 22 novembre. — Noble Verdillon, dit Biscoto, de Riez, est nommé capitaine de la terre de Saint-Laurent en Calabre pour 1425. — Autre lettre au même, f° 206, v°.

F°144,147, v°, etc., 1423-1424, etc. — Nombreuses lettres à Georges de Alamannia, comte de Pulcino, vice-gouverneur de Calabre.

F° 279, 15 novembre 1424. — Lettres à Charles du Maine, lieutenant général en Provence, de prorogation de délai pour les dettes de feu Barras de Barras, fils de Jean, sa femme Agassène et leur fils, contractées pour aider le roi à conquérir la Sicile.

F° 305, 1425. — Lettres pour Sarre de Brancas.

F° 348, v°, 5 juillet 1432. — Pour Grasso de Brancas.

Fos 114,153, etc. — Nombreuses lettres de nomination de notaires royaux et pour leurs examens, etc.

F° 268, 6 novembre 1428. — Confirmation, pour toute sa vie, de la nomination antérieure de Jourdain Brice, j. v. d., maître rational à la grand'cour d'Aix, à l'office de juge-mage et des seconds appels de Provence et de Forcalquier, etc., etc.

On peut consulter sur ce fonctionnaire la singulière notice d'ACHARD : Hommes illustres de Provence (Marseille, 1787, in-4°), II, 575. On y verra que Brice fit imprimer un savant ouvrage en 1433, trois ans avant l'invention de l'imprimerie. Achard n'indique pas le pays, à jamais célèbre, où cette impression aurait eu lieu. Souhaitons que c'ait été en Provence. Achard le fait encore mourir en cette année 1433. La vérité est qu'il contresignait encore des lettres royaux en 1438, avec la qualité de juge mage, professor eximius, seigneur de Velaux et Châteauneuf-le-Rouge, ainsi qu'on peut le voir dans FAILLON : Monuments inédits de l'apostolat de sainte Madeleine, in-8°.

V. LIEUTAUD.

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