11 décembre 2004

Lettre de Jean Antoine Théus à Marc Antoine Lautaret

Entrevaux, le 5 frimaire an 13

Cher ami,

J'eus le plaisir avant mon départ de Digne pour Entrevaux de recevoir en fin la votre chère du 13 brumaire dans laquelle vous me dites le meilleur de vos amis et vous me temoignez un grand plaisir de me voir à laquelle je n'ai pu répondre mon départ étant pressé. Ajourd'hui, 4ème jour de mon arrivée dans ce pays, j'entreprend de vous écrire ces deux mots pour vous prier de me conserver dans votre cher souvenir une place pour celui qui vous croit le meilleur de ses amis. Cet ami n'aura point de belles phrases, il ne vous fera point de compliment, sa plume ne pouvant vous tracer toutes les idées de son coeur, il se contente de vous dire qu'il vous estime et qu'il vous aime de tout son coeur.

Je croyais bien aller au pays avant que de venir ici mais ayant été necessaire à Digne jusqu'à la foire de la Toussaint, je n'ai pu jouir du plaisir d'aller vous embrasser ce que je renvoie à mon retour de ce pays qui aura lieu lorsque la vente n'ira plus ce qui pourra se faire dans huit ou quinze jours. Je compte aller tenir une foire qu'on dit très conséquente qui aura lieu le jour de St André. Elle se tient au Puget, pays cy devant du Piédmont aujourd'hui chef lieu d'arrondissement.

Vous me dites que vous avez toujours espoir que je me dégoutâsse de l'état que j'ai entrepris. Il y a à la vérité de la peine dans cet état comme dans tous les autres mais (rien sans peine) dit-on et je pense qu'il vaut mieux avoir de quoi vivre dans le commerce que mourir de faim dans tout autre état. Il vaudrait mieux passer sa vie auprès d'un véritable ami tel que vous que d'en être séparé mais si vous êtes véritablement mon ami comme je le crois, vous préférerez de me voir dans état si j'ai le bonheur d'y pour vivre que de voir auprès de vous couvert de misère. Vous m'invitez encore à me rappeller du pays qui m'a vu naitre, de mes parents et de mes amis. Quant à mon pays, je ne l'oublierais jamais, pour mes parents si je leur étais point attaché, je ne mériterais plus le nom de frère ni celui de fils. Pour vous qui êtes cent fois du jour l'objet du plaisir que je goûte dans mes secrets entretiens avec moi-même, vous serez toujours présent à ma pensée.

Si je ne vous ai point écrit plus souvent, c'est que je croyais toujours pouvoir aller vous embrasser ce que j'ai été obligé de différer pour les raisons que je vous ai dit.

En attendant d'aller vous embrasser si le temps et les affaires me le permettent bientôt, je vous prie de me croire votre dévoué ami... aimé

Théus