Revue Mercure de France - n° 674 - 15 juillet 1926Le Vercors serait donc, à nos yeux, le véritable berceau des Beyle. Sensiblement moins haut et moins froid que le val d'Autrans, grand ouvert au couchant et au midi, ce large plateau vert de prairies et tout encadré de sapins, rappellerait les paysages du Jura, si une lumière déjà méridionale n'y accusait les profils les plus lointains des monts. Le village de Saint Julien, au milieu des prés et des champs, se disperse en de nombreux hameaux. Le centre groupe à peine une vingtaine de feux. Le seul vestige curieux du passé est l'église, massive et sans art, mais fort ancienne et de style roman, remontant sans doute au XIe siècle. Toute petite, c'est à peine si elle peut contenir deux cents personnes. On y accède par un haut perron et par une porte étroite comme une meurtrière, percée dans la fabuleuse épaisseur des murs. C'est probablement là qu'à l'origine et jusqu'à la fin du XVIe siècle vinrent s'agenouiller les montagnards farouches dont Stendhal devait descendre.
BnF/Gallica : http://gallica.bnf.fr/document?O=N0202006
pages 336 à 354
C'est sur la petite place de l'église que, le dimanche, à la sortie de la messe, réunis à leurs concitoyens, selon la libre coutume des aïeux, ils discutaient les affaires publiques. L'un d'eux, émigré, se sera enrichi par le commerce et aura fait souche à Autrans. D'autres étaient déjà installés à Méaudre. Remarquons-le : de Saint-Julien à ces deux villages, la route était jalonnée par des Beyle. Il y en avait à La Balme et à Rencurel, et l'on va de Rencurel à Méaudre par le Pas de la Chèvre, comme on va de Rencurel à Autrans par le Pas de Pertuzon. Un de ces Beyle de Rencurel viendra plus tard s'installer à Autrans et ses descendants s'y uniront, eux aussi, à ceux d'Ambroise. Admettons que par ses nombreux enfants, à chaque génération, une même famille ou un même clan montagnard ait essaimé dans tous ces villages situés sur le même parcours, les géologues diraient le long d'une même faille molassique, prolongement de celle qui, par le lac du Bourget et Voreppe, continue le Jura en pleines Alpes.
La petite fortune domaniale d'Ambroise Beyle passa tout entière à celui de ses fils qui fut le trisaïeul de Stendhal, c'est-à-dire Jean, le drapier de Lans. On pourrait en conclure que Jean était l'aîné et, pourtant, il y a lieu de croire le contraire. Quatre des soeurs de Jean s'étaient mariées bien avant lui, les deux premières surtouts, unies avant 1643 à Barnabé Blanc et à Jean-Claude Blanc. Son frère Claude devait être également plus âgé. Il signe en qualité de témoin avec ses deux beaux-frères, époux des deux soeurs aînées, au contrat de mariage de Jean, en 1656. N'est-ce pas le fait d'un aîné approuvant l'établissement de son cadet ? Nous n'avons pas la date exacte de sa mort, mais celle-ci doit se placer vers 1670 et dans les actes paroissiaux qu'il libellait au cours des années antérieures, la main de Claude commence à trembler, ce qui, même dans le cas d'une sénilité précoce, ne se produit guère avant la cinquantaine. Claude Beyle devait donc être né vers 1620 au plus tard, plus probablement vers 1615, tandis que Jean, s'il s'est marié à trente ans, suivant l'usage de la famille, devait être de 1626. Autre fait plus décisif : Claude était resté à Autrans et à la maison paternelle car tout montre que la maison près de l'église dont il signe la reconnaissance, le 9 avril 1655, au marquis de Sassenage, lui venait de son père et que c'est dans cette maison plus centrale qu'Ambroise Beyle avait du lui-même transporter son négoce. Immeuble et commerce revinrent tous deux à l'aîné, lequel s'était associé son plus jeune frère Benoît, tandis que Jean allait chercher fortune ailleurs, ce qui est bien le fait d'un cadet. En vertu du droit d'aînesse, Claude devait avoir également hérité de la majeure partie des biens de Claret et de La Vergne. Mais cet aîné, s'il s'était marié, ce que nous ignorons, n'avait pas eu d'enfant, car on n'en retrouve ni mention, ni trace. C'est dans ces conjonctures que, selon toutes les coutumes de l'ancien régime, le cadet aura succédé à l'aîné comme héritier universel. Seule la maison du bourg de l'église, avec le fonds de commerce, revint au troisième frère, à Benoît.
D'après les notes inscrites en marge du parcellaire d'Autrans, Pierre Beyle, fils aîné de Jean et capitaine châtelain de Sassenage, affranchit de la taille les biens venus de son grand-père. Il dut les affranchir aussi des droits féodaux, car, au dix-huitième siècle, ces biens ne figurent plus sur aucun terrier. Le fils de Pierre, Jean-Baptiste Beyle, écuyer, juge royal et épiscopal de la ville de Grenoble, fit encore mieux : il devint seigneur où son bisaïeul était manant. Le terrier Garcin, renouvelé en 1745, nous montre Jean-Baptiste Beyle co-seigneur, par indivis, du fief des Combes, avec « noble François Lovat, conseiller correcteur en la Chambre des Comptes ». Ce fief des Combes englobait les mas du Vergne ou de la Vergne, des Tranchants, des Gonnets, des Gaillards et, d'une manière générale, tout le terroir sud-ouest d'Autrans. Après Jean-Baptiste, sa veuve, « dame Marie Raby », puis son fils, le capitaine Beyle, y perçurent les droits féodaux, de compte à demi avec l'évêque de Grenoble, qui avait succédé à François Lovat. Le père de Stendhal, héritier présomptif de son cousin issu de germain le capitaine, n'avait donc pas tout à fait tort de se dire noble. La famille avait acquis, non seulement un titre et des armes, mais la réalité de la seigneurie, le fief.
A suivre...
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