Revue Mercure de France - n° 674 - 15 juillet 1926QUELQUES PRÉCISIONS NOUVELLES SUR LA GÉNÉALOGIE DE STENDHAL
BnF/Gallica : http://gallica.bnf.fr/document?O=N0202006
pages 336 à 354
Environ un an après son premier article sur la généalogie de Stendhal, Paul Ballaguy publiait dans la revue Mercure de France un deuxième article intitulé « Quelques précisions nouvelles sur la généalogie de Stendhal ». La longueur de cet article m'oblige à le découper en plusieurs parties pour le reproduire dans ce blog. A chaque fois que cela sera possible, j'indiquerai en commentaire les actes que j'ai pu trouver grâce aux Relevés du Centre Généalogique du Dauphiné. Voici donc la première partie de cet article...
De nouvelles, recherches dans les archives communales du pays de Lans et du Vercors nous permettent d'ajouter quelques précisions à celles, malheureusement trop rares, que nous avions déjà réunies sur les ancêtres de Stendhal.
D'Ambroise Beyle, son quatrième aïeul, nous ne connaissions guère, jusqu'ici, que l'acte de décès. Le parcellaire ancien d'Autrans, qui date de 1636, nous donne d'autres détails : il nous montre cet aïeul dans l'exercice de ses fonctions municipales et nous révèle l'étendue de ses biens. En tête de ce respectable document, « Ambroise Baille » apparaît en posture de notable ou de prud'homme, quelque chose comme l'adjoint au maire du pays. Tous ces villages du Dauphiné, comme ceux de Provence, étaient entièrement républicains de moeurs et de coutumes. Ils avaient des consuls et des notables élus, et toutes les affaires s'y débattaient en réunion publique, sur la grande place du bourg. Ambroise Beyle prit une part importante au gros événement qui agita les communes dauphinoises sous Louis XIII : la confection du cadastre. Une première fois, en 1619, la municipalité d'Autrans avait, confié le soin de mensurer les terres à un arpenteur de L'Albenc, le sieur Champel. Mais la tentative était prématurée. Ce n'est qu'en 1635 que le tiers-état dauphinois triompha de la résistance des deux ordres privilégiés, particulièrement de la noblesse, et réussit à rendre la taille, non plus personnelle, mais réelle, c'est-à-dire à la faire reposer sur la terre, et non sur la personne. C'était la réalité de l'impôt et la prétention de le faire payer à chacun, en proportion de ce qu'il possédait, que représentait le cadastre, et c'est pour ce motif que les nobles l'avaient si vivement combattu. Ne pouvant en retarder davantage l'adoption, ils obtinrent, tout au moins, de s'y soustraire. C'est de ce temps que date, en Dauphiné la distinction des terres en nobles, c'est-à-dire appartenant des nobles, et en non-nobles, c'est-à-dire appartenant à des roturiers. Les premières échappaient à tout cadastre. Voilà pourquoi le parcellaire d'Autrans ne cite aucun fonds noble et n'énumère que les « fonds taillables ».
Il ne s'agissait pas seulement de mensurer ces fonds, mais, tâche singulièrement plus ingrate, d'en estimer la valeur pour répartir la taille entre leurs propriétaires. On conçoit le déluge de protestations qui fondit sur les hommes assez audacieux pour assumer ce rôle. Ambroise Beyle et son futur gendre, Barnabé Blanc, étaient du nombre. Nul ne voulut de leurs estimations et, l'année suivante, il fallut recommencer celles-ci. De nouveaux commissaires furent nommés, entre lesquels figura encore Ambroise Beyle, mais, cette fois, sans son gendre. Le procès-verbal de l'arpenteur Denis Champel nous montre les nouveaux élus s'assemblant, graves et solennels, sur la place de l'église.
Ont comparu maistre Benoist Blanc, honneste Ambroise Baille, François Aybert de la Roche, honneste Benoist Alleigre-Perret, Enymond Faure, Pierre Alleigre Roux et honneste Louis Morin, esleuz et nommés par ladite communauté pour estimer et apprétier tous les fonds taillables dudit lieu et reformer tout à fait la première estime, tous lesquels estant assemblés sur la place publique du bourg de l'Eglize, après avoir presté le serment requis et nécessaire, ont conféré ensemble du prix qu'il convenoit mettre sur les meilleures sestérées, tant prez, terres, bois, mollins (moulins), etc.
Cette deuxième estimation, le consul en exercice, son « coprudhomme », qui était Ambroise Beyle, et le syndic des forains, c'est-à-dire des propriétaires étrangers à la commune, eurent ensuite à l'approuver pour la mettre en vigueur. Leur perplexité fut grande, bien que tous trois eussent collaboré à l'oeuvre qui leur était soumise. On dit que les Dauphinois sont les Normands du Midi, et cette circonstance permettrait de le croire car les trois édiles autranais s'en tirèrent par une vraie formule de Normands : ils consentirent à signer le papier qu'on leur tendait mais eu déclarant ne rien approuver. C'est au bas de cette déclaration fuyante que s'étale le superbe paraphe d'Ambroise Beyle, ou plutôt Bayle, car c'est ainsi qu'il signait :
Ce vingt-cinquiesme aoust 1636, anviron midy, je, Denis Champel, commissaire soussiné, présentant le susdit comparant procès-verbal aux susnommés, Benoist Alleigre Perret, consul, Ambroise Baille, coprudhomme, honneste Benoist Blanc, notaire et syndic des forains, pour le signié au dit Austrans, dans la maison dudit Baille, où je les ay trouvés touts trois, en présence de Claude Repellin Gonnon. Lesquelz ont dict qu'ils ne le peuvent signié, pour ne estre à présent relevés (?) des protestations qu'ils firent alors, réciproquement et sans approbation, et pour leur response tant seullement, en protestant de toute nullité, se sont signiés.
Je signe pour response comme dict et sans approbation de rien.
BLANC, syndic.
A. BAYLE, coprodhomme
PERRET, consul.
D. CHAMPEL, arpenteur commissaire.
La simple signature d'Ambroise Beyle, suivie du mot « coprodhomme », écrit de sa main, révèle un homme instruit, écrivant lisiblement et couramment, non de l'écriture épaisse et lente d'un paysan, plus habitué à manier la bêche que la plume, mais avec ces vivacités, ces jolis tours et ces élégances un peu fausses qu'affectaient alors les gens de loi et les scribes.
Comme en témoignent sa qualité d'« honnête » et ses fonctions d'élu, Ambroise Beyle avait du bien : c'était un riche propriétaire. Le parcellaire, en ses folios 237 et suivants, dénombre longuement et minutieusement tous ses fonds. La plupart se groupaient au mas dit « au Vergne », qu'on appelle aujourd'hui La Vergne, sur les confins d'Autrans et de Méaudre. Le large val, un peu bosselé, d'Autrans, se creuse au midi en une manière de cuvette d'où émerge, comme une île, un monticule rond allongé du nord au sud et nommé Claret. La cime de ce monticule est couverte de bois, les flancs de prairies, le bas de pâturages marécageux appelés jadis « paquiers », ou « narses ». C'est « en Claret », et particulièrement sur les pentes ouest de ce mont, que se trouvaient les biens d'Ambroise Beyle. Bois, prés et quelques terres de labour représentaient en tout une centaine de « sétérées » mesure du pays, c'est-à-dire près de quarante hectares. Il y avait une maison avec grange, grenier et plassage, et un moulin, mû par le « rif » ou ruisseau, de Tortollon. La grange, couverte de chaume, subsiste encore, et l'on voit, à une centaine de mètres plus bas, de part et d'autre du ruisseau, les pierres sur lesquelles devait s'agencer la roue du moulin.
Ambroise Beyle était également propriétaire à Méaudre. La limite entre les deux villages devait couper certains de ses biens. Il possédait une maison « en Claret », dans la partie de Claret qui est sur Méaudre, au lieu dit la Charpenelle ; puis des prés, paquiers, terres et bois, représentant environ le tiers de ce qui était sur Autrans. Nous n'avons pas la mesure exacte, car le parcellaire ancien de Méaudre a disparu, et il ne reste plus qu'un « coursier », où les immeubles sont seulement mentionnés, avec, en face de chacun d'eux, le chiffre de la taille. Or celle-ci montait à un peu moins de dix livres, tandis qu'elle s'élevait à trente cinq livres pour les biens d'Autrans.
Si largement muni, Ambroise Beyle n'était-il qu'un riche paysan ? Sa signature suffirait à en faire douter. Un autre document nous révèle sa qualité vraie c'est la reconnaissance féodale passée par lui le 21 février 1647, au profit de « noble Jean Louis de Ponnat Garcin, sieur des Combes ». Cette reconnaissance est rappelée au terrier de 1745 et Ambroise Beyle y est qualifié de marchand, sans que l'acte précise le genre de négoce auquel il se livre. Mais; de toute évidence, ce commerce devait être celui qu'il transmit à son fils aîné et dans lequel il établit ses deux cadets, c'est-à-dire celui de drapier.
A suivre...
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