Que sur ce qu'on dit qu'il ne parait point qu'il ait été fait aucun payement de la rente de deux cent florins promise par la première investiture, les arrérages en sont présumés payés pendant le tems que les Princes de Monaco ont rendu l'hommage aux Ducs de Savoie, qu'autrement ils auraient protesté contre le défaut de payement, mais qu'aussitôt que l'arrêt de la Chambre des Comptes de Piémont fut intervenu, il n'était plus d'arrérages de cette rente par ce que ce jugement avoit déclaré les fiefs commis et dévolus au Seigneur supérieur; que d'ailleurs les Princes de Monaco ne pouvaient demander ces arrérages, sans satisfaire de leur coté, et passer nouvelle reconnaissance; que sur ce qu'on prétend invalider les hommages rendus par Lucien Grimaldi par la prohibition qu'on suppose avoir été faite par Claudine Grimaldi sa mère dans ses testaments de soumettre ces terres à aucune puissance à peine de privation de son hérédité; la réponse est que si l'on avoit produit ces testaments entiers, on y aurait yen sans doute que cette prohibition ne regardait pas les terres dont est question, puis qu'elles ne lui appartenaient pas toutes entières, Lambert Grimaldi son mary étant possesseur d'une partie; qu'elle ne pouvait faire une prohibition contre un acte qu'elle avoit passé elle même antérieurement, et ne pouvait par conséquent déroger au droit acquis au Duc de Savoie; qu'il fallait nécessairement qu'elle eut déjà relâché la part qui lui appartenait de ces terres à Lucien son fils, puisqu'en 1506 antérieurement aux testaments de Claudine Grimaldi il estoit dominus in solidum de Menton et de Roccabruna, comme on le voit par des statuts faits par lui en ceste même année là, des actes de serment de fidélité prestés par les habitants de ces terres en 1505, et les deux transactions de 1507, et 1508 ci-dessus visées, lesquelles il a passé lui même avec Charles Duc de Savoie.
Que sur le moyen du Prince de Monaco qui regarde la prescription, l'on establit pour le détruire les principes de droit incontestables, qu'un vassal ne peut jamais prescrire contre son Seigneur, par ce que le droit de se faire rendre l'hommage est facultatif et ne se prescrit que depuis la contradiction; que depuis la contradiction il faut du moins trente ans pour prescrire le droit d'un particulier, et que contre un Souverain comme son droit est privilégié, il faut l'espace de cent ans; qu'il ne faut point compter pour accomplir la prescription le tems qu'on a légitimement été empêché de songer à son droit, et qu'il faut cent ans sans qu'on puisse alléguer aucune légitime excuse; que l'on ne doit point mesurer le temps qui a couru depuis 1506 que Lucien rendit le dernier hommage; mais depuis sa mort arrivée en 1523, par ce que l'ayant presté une fois, il n'estoit plus obligé de le rendre.
Que depuis 1523 jusqu'en 1583, tems auquel est intervenu l'arrêt qui a déclaré la Commise des fiefs en question encourue, il ne peut y avoir de prescription, par ce que suivant le principe estably ci-dessus, le vassal ne peut jamais prescrire contre son Seigneur que depuis la contradiction.
Que d'ailleurs il y a eu une guerre dans cet espace de temps entre Charles dit le bon qui fut dépouillé de ses Etats, et la France qui n'a pas permis à ce Prince de jouir de vingt années de tranquillité; que depuis 1583 jusqu'en 1670 la prescription n'a pu s'accomplir, premièrement par ce que ce tems n'est pas suffisant comme on vient de le remarquer pour prescrire contre un Souverain; secondement par ce que le Duc de Savoie et le Prince de Monaco ayant remis la décision de leur différent à l'arbitrage de Philippe II Roi d'Espagne, le compromis en fut renouvelé en 1599 en la personne de Philippe III; qu'ainsi ce compromis a effacé le tems qui s'est écoulé depuis 1583 jusqu'en 1599; en troisième lieu parce que Charles Emmanuel I et Victor Amé I ont continué à jouir de leur droit par les actes d'investiture à eux accordés en 1598, 1613, 1621 et 1632 par les Empereurs Rodolphe, Mathias et Ferdinand II, lesquelles font mention de Menton et de Roccabruna, comme arrières fiefs de l'Empire, et que Charles Emmanuel II a protesté de ses droits à Rome en 1670, devant les Cardinaux arbitres du différent pour la Turbie; en quatrième lieu, par ce que Charles Emmanuel I, et Victor Amé I eurent diverses guerres avec la France et l'Espagne qui ne furent terminées qu'en 1659 par le Traité des Pyrénées, par conséquent point de prescription depuis 1583 jusqu'en 1670, depuis laquelle année jusqu à présent la prescription n'a pu estre pareillement acquise, premièrement par ce que ce tems n'est pas suffisant; secondement par ce que Victor Amé Roy de Sicile estoit mineur quand il succéda au Duché de Savoie; en troisième lieu par ce qu'il a protesté de ses droits en 1699 à Nice; ce qui en interrompant la prescription efface tout le tems qui s'est écoulé jusque là.
Que le silence des Ducs de Savoie dans les divers Traités de paix qu'on a cités ne peut leur être opposé par ce que les Princes de Monaco n'y sont intervenus que comme Alliés de l'une des Puissances qui traitoient, et non comme parties principales; qu'on n'y a fait aucune distinction des droits des Ducs de Savoie sur les terres en question, qu'ainsi ce moyen est inutile; et qu'enfin le Domaine de Savoie est imprescriptible comme celui de la France; ce que l'on prouve par des édits de 1445 et de 1509 des Ducs de Savoie ci-dessus visés; que si l'on dit que ces édits n'engagent pas le Prince de Monaco, cela est vrai à le considérer comme tel; mais il n'en est pas de même en le regardant comme Seigneur de Roccabruna et de Menton, pour raison des quelles terres il est Vassal des Ducs de Savoie et sujet aux édits qui affectent les autres Vassaux de Savoie; de sorte qu'il ne peut prescrire le droit de féodalité acquis aux Ducs de Savoie sur ces mêmes terres.
Après avoir mûrement examiné les dits mémoires, écritures, titres et pièces fournies de part et d'antre qui ont été communiquées respectivement aux Agents et Députés des dites Parties, et par eux contredites, et après nous être réciproquement communiqué nos pouvoirs qui sont ci après transcrits, nous Commissaires susdits en vertu des dits pouvoirs à nous donnés, avons déclaré et déclarons au nom du Roy Très Chrétien et de la Reine de la Grande Bretagne que le Prince de Monaco est tenu de reconnaître le Domaine direct du Roi de Sicile comme Duc de Savoie sur les onze parts de douze de Menton et sur La totalité le Roccabruna, d'en prendre de lui les investitures, et de lui en rendre la foi et hommage en la forme que ses prédécesseurs on fait en l'année 1448, et autres années jusques et compris 1506.
En témoignage de quoi nous avons signé le présent jugement, et y avons fait apposer le cachet de nos armes.
Fait à Paris le 21 juin 1714.
AMELOT.
M. Prige.
Ratifié par M. le Roi de France le 11 août 1714
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